‘La marque tue la marge’ : le partage de la valeur ajoutée avec la marque

‘La marque tue la marge’ : de « la boutique où il faut être vu », à « la marque qu’il faut exhiber », la question de la répartition de la valeur ajoutée entre marketing produit et marketing/merchandising d’enseigne.

Peut-on se passer de la marque produit dans la distribution accompagnée ? Et comment mesurer le coût d’attractivité d’une marque en comparaison de celui du point de vente ou de l’enseigne, pour optimiser notoriété et identité de l’enseigne et celles des marques proposées ?

Certains économistes, comme Baudrillard ou Marx, voient l’emballage comme une entité opaque, qui masque le produit pour détourner le consommateur de la réalité et le mener dans la sphère du fantasme des marques. Marx dénonce « l’emballage et la marque qui  favorisent le fétichisme des objets, et la création d’un espace puissant de manipulation des symboles et des signes pour plonger le consommateur dans le rêve, un rêve de consommation qui l’aliène et l’opprime ». Cette vision est exposée dans une approche anti consumériste, mais un rêve de consommation qui l’aliène et l’opprime, pourrait être remplacé par  »un rêve de consommation qui le stimule et l’humanise ».

Le consommateur est conditionné pour acheter non pas un produit mais l’image symbolique d’un produit le plus souvent passée à travers le filtre de la marque. Cette transformation, du désir de produit, en envie de marque est à mettre au crédit du marketing réussi. Comme pour se moquer d’elle-même, la maison Ricard, caricature la marque et l’image du produit marketé, dans la campagne pour le produit Suze et la reprise du slogan des années 60, ‘’méfiez vous des imitations’’.

La marque se suffirait elle à elle-même pour organiser sa distribution et son rapport au consommateur, avec la représentation virtuelle des téléventes ou du Web, complétée d’une logistique d’acheminement chez le client ?
La distribution sera elle remplacée par des points de concentration (à l’image des sites de ventes privées) optimisés pour la répartition et fermés au public ?

Entre une démarche où la distribution spécialisée officie en tant qu’exposant ‘bazar’, d’objets de marque, appelés, et une stratégie de répartition ‘entrepôt’ de produits besoin en vrac ou à conditionnement limité, une enseigne apporte une véritable plus-value en disposant, assemblant une offre produit sous une identité qui draine et stimule le chaland désireux de visiter une offre cohérente et segmentée.
L’enseigne propose au delà de l’attraction des marques, un pouvoir de création de l’envie, par une mise en scène du visiteur/acteur dans un décor d’assemblage des marques et des produits.

Dans la relation produit-client, les deux acteurs principaux que sont la marque et le distributeur, agissent sur les mêmes leviers auprès du consommateur : l’envie du symbolique et la sécurité de la notoriété. ( voir Pyramide de Maslow )Capture

Alors fournisseur ou distributeur sont tentés de pousser une stratégie d’expansion verticale. L’enseigne à sa marque est l’aboutissement de démarches opposées d’intégration amont ou aval .

Le fabricant devient distributeur ( cas du textile marque/enseigne,ou de Luxottica dans la lunette  ) ou bien ,
le distributeur devient maitre d’ouvrage des MDD ( produits libres Carrefour Avril 1976) voir même également maître d’oeuvre (Casino dès 1906),  jusqu’à intégration complète enseigne/marque (Picard ) ou Tesco qui dispose en sus de l’image d’une enseigne engagée à travers ses produits, voir même la conquête du marché du luxe par les MDD comme Monoprix Gourmet -).

L’objet n’est pas ici de commenter les excellentes études annuelles sur les marques et la distribution de la société Interbrand  dont la dernière d’Avril 2008 ‘LES MARQUES QUI ONT LE POUVOIR DE CHANGER LE MONDE DE LA DISTRIBUTION ’.

L’objet est de présenter les ‘bonnes pratiques’, d’adoption des produits de marque dans une enseigne de vente accompagnée multimarque dont la structure permet de mettre en valeur une offre de marques sans que la marque soit la clé d’entrée unique du secteur? – téléphonie mobile vs optique lunetterie –

La représentation des marques en point de vente est nécessaire pour :

                       I.      associer l’image de l’enseigne à des marques plus connues pour rehausser son attractivité ou positionner son niveau de gamme,

                     II.      provoquer le trafic et la vente sur des produits appelés ou des marques publicisées sur lesquelles le risque est apprivoisé par les chalands,

                   III.      faire participer à l’animation commerciale ou structurelle du point de vente (ou de l’enseigne) éventuellement jusqu’à la franchise de marque à son enseigne, au shop in the shop ou au corner

                  IV.      permettre de ranger son espace de vente et d’orienter une clientèle addicte à une marque spécifique.

                    V.      échanger un investissement en pénétration de marché ( sur représentation en linéaire ) , contre des avantages d’exclusivité territoriale, de droits de marque et de publicité.

La représentation d’une marque est défavorable lorsque

                  VI.      la marque fait porter sur des produits des coûts de marketing disproportionnés en regard de l’attraction qu’ils communiquent au point de vente et au segment de distribution précis,

                VII.      la marque est ‘bradée’ dans les circuits de distribution et ne gère pas ses méthodes de promotion et son image prix,

              VIII.      le positionnement symbolique de la marque est en discordance avec l’image de l’enseigne,

                  IX.      les charges d’approche B to B sont élevées, ou bien la marque conditionne sa distribution à des prises de risques jugés trop élevés en regard d’un taux de marge réel (50% des collections textiles sont vendues en Soldes à – 50%, 20 % sont invendues et bradées à 40 % de leur prix de revient,  le taux de marge réel est alors divisé ).

La marque de l’objet est, bien avant la marque du circuit de distribution, le symbole même de l’image du produit, celle dont le consommateur va pouvoir constater soit que, l’acquisition ostensible sert son besoin de différenciation ou d’identification, soit que sa technologie ressentie va répondre à l’attente .
Être distributeur des marques reconnues, associe l’enseigne au symbolique de la marque (qualité, solidité, novation, luxe, technologie, tendance, prestige, notoriété …).
Le chaland pour devenir prospect d’une enseigne non expérimentée et franchir le seuil du point de vente, va tout d’abord identifier l’enseigne aux marques qu’elle exhibe depuis l’extérieur ; en premier, si la marque est associée au nom d’enseigne (licence de marque, concession …), puis les marques des vitrines ou signalées sur les façades et celles rappelées à l’intérieur. C’est durant cette phase d’apprentissage de l’enseigne que l’image se crée et qu’elle sera inscrite dans la pratique potentielle de l’enseigne.
Mature, une enseigne bien implantée peut faire profiter une marque de son réseau pour la promouvoir ou la rendre accessible à une clientèle de sa zone de chalandise. Il est alors naturel que, s’applique un équilibre de répartition des profits, en regard des efforts effectués.
Le discours de Michel Edouard Leclerc exprime la difficulté de trouver cet équilibre : ‘ D’un point de vue macroéconomique, je considère que la multiplication de marques de renom, repères et signes de qualité, constitue un formidable enrichissement du patrimoine économique. Il ne faut pas se tromper de combat. Ce qui est en cause, c’est leur positionnement marketing et leur tarif plus que leur qualité, leur prolifération ou leur omniprésence’. I

L’impact et la nécessité d’association ‘marque distribuée – enseigne’ va évoluer avec le temps. Il existe des indicateurs de mesures à mettre en place pour connaître l’opportunité de laisser ‘partir de la marge’ dans la distribution d’une marque :

A.     Segmenter les marques et les catégoriser ( Il existe marque et marque : celles qui gèrent leur renom globalement ou de façon ciblée sur le segment de marché de l’enseigne, et les autres qui bénéficient au mieux d’un marketing public annexe voir seulement d’un marketing B to B):

1.       Disposer sur une échelle par marque, le taux de notoriété induit ou spontané, mesuré sur le segment de marché élargi puis restreint, croisé avec la légitimité, sur le segment spécifique et sur la cible client de l’enseigne ( en l’absence d’études sur le poids de la marque sur la décision d’achat).
ex : Grundig est une marque dont le taux de notoriété moyen (spontané), élevé (induit) est associé, à l’électroménager brun ( sur le magnétophone et la télévision) et à l’autoradio (K7 et RDS) sur une cible des plus de 50 ans plutôt ouest européenne, aujourd’hui séparée entre Delphi et le Turc Koç, Grundig a une légitimité limitée sur le marché des baladeurs numériques de poche MP3

2.       Etablir une dichotomie entre la marque qui permet à un produit de ne pas être orphelin, et la marque publicisée et/ou appelée. Issue du stade précédent, cette étape permet d’établir un ‘cut’
ex Gant est une marque associée au sportswear masculin, dans l’optique lunetterie son rôle en France se limite à classer des produits fabriqués par Viva Group qui possède des marques telles que Tommy Hilfiger ou Guess plus porteuses d’image en France/Belgique, la portée de la marque se limite à accueillir des produits. Inutile d’aller plus loin, cette marque peut être implantée mais sans supporter des coûts de marketing et de B to B dans les prix d’acquisition.

3.       Participer à la segmentation produit/marché en définissant une segmentation des marques qui va permettre d’équilibrer le portefeuille produit
ex: Dans l’optique lunetterie ou les marques sont majoritairement issues du textile, la segmentation de l’offre d’une enseigne de distribution se fait à travers les marques classifiées en : luxe, créateur, mode, technique, textile, sport, tradition,  … dans chaque segment, seules certaines marques ont un pouvoir d’attraction pré-achat (imaginaire), ou bien dans la phase d’appropriation et son exposition au réel de l’objet, un pouvoir d’inhibition au risque. La légitimité de la marque sur le marché va être déterminante pour garder telle ou telle marque

4.      La marque comme base à la distribution des rôles du category management : la marque voir le fournisseur multi-marque proposent des constantes en logistique, paiement, accompagnement merchandising
ex: Une marque horlogère d’Andorre propose les même conditions financières sur toute sa gamme, un taux de reprise global, une logistique complète en flux tendus sur forecast de réassort, mais aussi d’implantation sur suivi test – ses produits sont souvent leader car la marque est leader sur des segments de marché – un accompagnement marketing institutionnel fort et sur des produits particuliers. Elle participe activement au management catégoriel.

B.      Déterminer la marge nette laissée par la marque (après soldes et traitement des invendus ou SAV ) :

1.       Etablir le vrai prix de vente : le prix de marché est-il celui exposé par le fabricant et correspond-il à des prix ‘praticables’ par l’enseigne en regard de son offre ?
Sortis des prix imposés, les prix sont ceux du marché et pas ceux exposés par la marque : une marque peut systématiquement servir de support à rabais, toute marque n’a pas la puissance de Ricard. Une technologie en cours de maîtrise des produits (écrans TFT), entraîne déflation rapide des produits exposés ou stockés , la marge est mangée avant la vente (voir Point Micro NASA Electronique)    …

2.       Quels sont les coûts annexes liés à l’acheminement et au stockage du produit en point de vente ?
Le prix de revient complet doit être calculé : la marque offre t’elle des remises arrières, des remises de centralisation, une participation à la guelte, une traçabilité unitaire, assure t’elle le stockage, le cross docking, une participation à la présentation sur l’enseigne, un facing fixe offert ? les prix sont ils nets arrivés sur site, la marque travaille-t-elle sous réassort avec des minima d’achat, la démarque sur la ligne logistique est-t-elle prise en charge, un système de facturation sur relevé réduit il les coûts de traitement administratif…

3.       Quel est le taux de rabais lié aux soldes et quelle participation à ce rabais est prise en charge par la marque ? Quelle est la proportion d’objets restant à solder ?
Le secteur accepte-t-il les soldes et les saisons sont elles marquées ? Cette marque est elle dans les taux moyens de solde du secteur et du segment, quelle est la capacité de ses distributeurs à maintenir une image prix…

4.       Quel taux d’invendus en fin de rôle et quelle prise en charge d’une reverse logistique (saisonnalité, obsolescence), c’est l’abat défraichi qui qualifie l’étal par ailleurs parfait du boucher
Les invendus de la marque sont ils ‘défraichis’ (obsolètes, démodés, sans légitimé) ?
As t’on le droit de solder la marque, quels risques d’invendus présentent les achats imposés

C.    Evaluer les dépenses marketings faites en plus du capital notoriété de marque et l’impact de ces dépenses sur l’animation du point de vente :

1.       La capacité financière de la marque sur le territoire et le montant des dépenses de publicité et d’image sont à comparer avec ceux de l’enseigne.
Entre une mutualisation de la publicité avec des retombées indirectes sur le trafic de l’enseigne et une publicité directe de notoriété d’enseigne, il faut connaître les montants engagés qui diminueront la marge.

2.       Accéder à des médias inaccessibles à l’enseigne seule : sur certains marchés, la publicité télé, le sponsoring d’évènements culturels ou sportifs sont indispensables pour sensibiliser un public créant des effets de seuil,

3.       Participation de la marque aux publicités de l’enseigne, ou campagnes de co-branding ( marque, enseigne ) sur des supports élaborés par l’enseigne ou seulement sur des supports managés par la marque.

4.       La communication (PLV, ILV ) est elle en concordance avec le concept de l’enseigne ?

D.    Projeter la concordance d’intérêts dans le temps, la notoriété de l’enseigne va évoluer, certains marchés sont instables et la durée de vie des marques courtes :

 

1.    Sur les secteurs ou les marques sont les clés principales d’entrée, la durée de vie des marques est souvent inférieure à celle de l’enseigne et exige leur renouvellement fréquent : l’image de l’enseigne est alors liée à la continuité de la qualité de ses choix de représentation.

2.       Miser sur l’exclusivité territoriale d’une marque, c’est hypothéquer des perspectives d’expansion de territoire, Ce risque de défaut d’uniformisation a des conséquences aussi bien pour construire ses systèmes de gestion comparative, que pour la continuité d’image de l’enseigne.

3.     D’une situation dominante, une enseigne dans son besoin de diversification peut se retrouver en situation de faiblesse : projeter ses besoins au-delà des forces et faiblesses, vers une analyse des opportunités et menaces :
Ex : Horlogerie/Bijouterie Une enseigne réputée du secteur après avoir effectué une bonne pénétration sur le marché abandonne les marques d’un groupe Suisse horloger de renom au profit de marques naissantes à fort investissement marketing et marge dégagée plus élevée. L’enseigne ne subit aucune perte de marché sur le segment et le facteur d’attraction des marques de substitution est identique. Mais l’enseigne doit se diversifier sur des marchés de centre ville ou sa notoriété n’est pas établie et son concept moins porteur d’intimité et d’artifices de reconnaissance. Le groupe Suisse alors avec ses marques de référence (prestige, notoriété, technique …) fait défaut alors pour combler les déficits de l’enseigne…Le coût global de distribution d’une marque doit être étudié avec précision également en terme de projection d’opportunités

La marque en France a connu un statut spécial lié aux particularités de la législation française sur l’interdiction de vente. La justification de l’interdiction de vente a modelé, le tissu de la distribution française provoquant l’éclosion rapide des hypermarchés et des centres commerciaux géants, alors que nos voisins travaillaient leur MDD ou construisait une distribution low cost. En étant obligé de justifier sa non distribution par certaines enseignes (distribution sélective), la marque de distribution acompagnée n’a pas connu la même évolution dans sa commercialisation en France que chez ses partenaires européens. Justifier cette distribution sélective a pesé pour maintenir tardivement tout une structure B to B couteuse entre les représentants de la marque et les circuits de distribution pour occuper le meilleur linéaire dans la meilleure distribution. L’instrumentalisation de cette politique a nourri un ‘marketing de glorification de la marque, qui justifiait l’augmentation des prix , au déprofit de la conquète de part de marché’ selon les études de Dia-Mart. La rémunération de cette structure encore présente disperse la valeur ajoutée et s’oppose à la centralisation des achats ou à une politique de déploiement d’enseigne multimarque subissant ces archaïsmes.

Pour déterminer si la marque tue la marge, la question peut se poser plus simplement : mon enseigne est elle le premier client de la marque ou un partenaire pour asseoir voir conquérir une part de marché ?

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