Motiver sa force de vente en période de stagnation

Comment faire évoluer la motivation commerciale en sortant de la croissance et entrant en phase de maturité ?

Pour de nombreuses enseignes, dont la dynamique de conquête territoriale s’appuie sur les flux générés par les centres commerciaux, s’est posée un jour la question de la saturation de leur mode de croissance en raison de la faible évolution du nombre de centres. Sans vouloir ici disserter sur les opportunités de trouver des voies parallèles de croissance, multiplication des enseignes, extension du territoire, conquête des centres villes avec ou sans diversification de la structure de commercialisation, l’objet de ce papier est d’aborder la nécessaire mutation vers une nouvelle culture de la relation avec la force d’accompagnement terrain lorsque la croissance s’estompe.

En effet la phase de croissance et de conquête de marché d’une enseigne, est un puissant moteur de la motivation inconsciente des équipes commerciales ; comme dans une armée, la dynamique de l’avancée et de la victoire. Quant il s’agit de faire une guerre de position, l’expérience des tranchées de la grande guerre (14-18) montre combien la politique exclusive du bâton et de la carotte collective, aveugle, troupes et généraux et provoque désertions et déroutes morales. Mais il n’en reste pas moins vrai que carotte et bâton constituent les piliers de toute action collective d’entrainement, donc nécessaires mais pas du tout suffisantes lorsque la progression s’estompe.

Faire abstraction de la perte de ce puissant moteur, qu’est la dynamique de la croissance, en ne modifiant pas les méthodes de management de la performance commerciale, a conduit des enseignes réputées à entamer rapidement leur chute dès la réduction de la croissance autour de la 10-12em année d’existence. Certes l’embourgeoisement des structures, le resserrement de l’offre autour des best-off et des invendus, à la recherche de ce que l’on croit être l’identité de son offre, sont également au menu de cette période et ont participé à ces chutes.

Or une enseigne mature dispose de tous les atouts pour réussir.

En premier une reconnaissance mutuelle entre l’enseigne et ses clients, la phase d’apprentissage a permis de conquérir, une image sécuritaire sur le marché et, une appréhension maitrisée de la structure d’organisation du point de vente qui donne à l’assortiment toute son efficacité.

En second des équipes formées à sa clientèle pour la conseiller, l’accompagner et la considérer.

En troisième une offre affinée pour répondre à chaque vecteur de comportement de consommation sur les segments de marchés ciblés.

Et malgré ces atouts qui conduiraient à une évolution de croissance asymptotique (cycle de vie de produit maitrisés), alors qu’une enseigne devrait suivre une courbe dite de Gompertz, certaines suivent des courbes identiques au cycle de vie d’un produit…qu’elles sont censées sommer.

CaptureCette évolution vers la chute est d’autant plus fréquente que le positionnement de l’enseigne se fait sur un marché ou le consommateur est dans son acte d’achat en approche émotionnelle selon la matrice de Foote Clone & Belding dont ici on joint un exemple qui permet aux enseignes de se positionner face au risque :

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Les enseignes sur des positionnements Learn-Feel-Do ( type FNAC/Cultura), ou Routiniers ( type Lingerie Etam ) seront moins sensibles à un renversement en période de maturité, que des enseignes sur des positionnements Oblatifs/Hédonistes de type SIA ou Trésor, voir Affectifs de type Lancel ou Royal Quartz

La question issue de la perte de la dynamique de croissance dans la motivation des salariés, qui se pose aux enseignes de vente accompagnée n’apporte pas de réponse simple : comment motiver les forces de conquête de clientèle alors que l’enseigne ne joue plus qu’une guerre de position ?

Faut il user du bâton, et parallèlement accroitre la carotte, faut il modifier la carotte ?

La tendance naturelle observée, dans les enseignes qui arrivent à maturité ( surtout lorsque la crise joue le catalyseur des peurs ), consiste à surcharger du bâton avec la même constitution de leur panel de mesures de la performance qui déclenche bonus ou sanction.

Le système de motivation de la force commerciale d’accompagnement est généralement orienté autour de rémunérations variables. Les seuils de déclenchement des bonus sont liés à la réalisation d’objectifs de performance, individuels ou collectifs, ainsi que des ventes ‘délicates’ –guelte-. La notion de salaire minimum n’autorise pas une rémunération totalement variable liée simplement au succès commercial du vendeur.

Ce salaire minimum offre la possibilité d’exiger des présences effectives et des travaux annexes (mise en rayon, pliages, réception/étiquetage etc… ).

Le rôle de la force d’accompagnement devient donc multiple, il va de l’amélioration de l’attrait de présentation de la collection et de dynamique des assemblages, à la fidélisation du client pour en faire un préconisateur.

De cette disponibilité, toutes les enseignes en station vont user et notamment dans la réception disposition de l’offre magasin ; avec le risque de transformer progressivement les forces de contact en des administratifs, des logisticiens, des rapporteurs. Déjà sous l’empire Romain, Tacite reprenait en ces termes la dégradation de la défense de l’empire : mais la longue station, a partagé ces miliciens autrefois excellents soldats, entre les douceurs de l’oisiveté et les occupations des charges civiles; et nos exercices militaires, d’abord négligés, puis regardés comme inutiles, ont été enfin oubliés tout à fait. D’ailleurs lorsqu’une institution politique veut procéder au désarmement des troupes de combat, elle fait pratiquer le cantonnement qui consiste essentiellement à faire prendre en charge par les militaires regroupés, les charges civiles qu’ils génèrent et d’autres (voir les camps romains d’Asterix).

Ce sont ces mêmes pratiques utilisées en magasin consistant à étendre progressivement les temps occupés à d’autres taches que l’accompagnement de la vente, qui vont jusqu’à transformer des N°1 ou N°2 de magasins en purs agents administratifs sous prétexte d’occuper des périodes d’oisivetés, qui auront les mêmes conséquences. D’autant plus qu’en période de stagnation, ces périodes d’oisiveté se sont amplifiées avec les sureffectifs d’encadrement (nécessaires à la promotion interne mais sans débouchés dans de nouvelles unités). Et puis après l’encadrement et les agents de maitrise, ce sont les effectifs de base qui sont occupés artificiellement. Ainsi la lobotomie organisationnelle a transformé les équipes les plus dynamiques en zombies de la vente plus efficacement qu’une camisole chimique. Malheureusement lorsque cet état est atteint la coupure est obligée : en terme militaire les garnisons qui ne sont plus en contact avec le feu sont remplacées…

Le premier axe correctif et le plus important consiste à ne pas dégrader la motivation des forces de vente, en lobotomisant leur dynamique de conquête de clientèle. C’est l’objet de la planification : adapter les plannings de chaque vendeur à l’activité commerciale est essentiel pour limiter l’oisiveté, et non pas occuper l’oisiveté par des taches hors vente.

La planification des présences des commerciaux doit s’ajuster au horaires qui nécessitent par le trafic un rôle essentiellement commercial ( dont la remise en rayon et la propreté de la collection peuvent faire partie). Une application qui gère une optimisation sous contraintes et/ou une extrapolation-projection des trafics et vente attendues est souvent nécessaire.

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Cet ajustement surtout optimisé laisse des temps libres qui ne suffisent plus à assurer les taches préalablement déportées sur les magasins sous des prétextes de d’opportunités d’utiliser des temps libres à coûts nuls.

Parallèlement à cet ajustement, il convient de procéder à l’analyse de productivité des travaux confiés à l’occupation de l’oisiveté en magasin, qui peuvent être industrialisés d’une part en amont avec des économies d’échelle (vêtements pliés et sur portants prêts à installer, produits finis et étiquetés, réception automatisée…), d’autre part en aval, gestion des stocks, balance bancaire des caisses, éléments de paye…qui ne doivent plus être mis en regard d’absences de coûts magasin (travaux réalisés en temps masqué ! ),

 

Second axe de travail et impératif pour obtenir un effet de levier, l’adaptation des indicateurs de mesure de la performance qui déclenchent les bonus et permettent d’agir sur les dysfonctionnements. Pour suivre la performance de la force de vente une enseigne en ordre de marche dispose en moyenne 5 à 6 indicateurs qui servent à donner l’alerte, et trouver des solutions mais également à déclencher des bonis. Les  études démontrent que les caractéristiques des indicateurs de mesures seront différentes selon qu’une entreprise suive une stratégie de différenciation ou une stratégie de leadership par les prix (Langfiels-Smith, 1997; Chenhall et Langfield-Smith, 1998) : les enseignes choisissant une stratégie orientée vers la différenciation utiliseront plutôt des indicateurs de performance qualitatifs que des indicateurs financiers (Abernethy et Lillis, 1995) et recoureront à des pratiques de management incitatif avancées (Perera et al., 1997). La pauvreté du nombre d’indicateurs quant à elle, s’explique souvent lorsque les enseignes progressent en rouleau compresseur  et cherchent une évolution commune (dans une formation de type tortue romaine) ou chacun protège et entraine l’autre. Un indicateur est mis en regard d’objectifs fixés minimaux, normatifs et de réussite.

De façon non exhaustive, voici une liste des indicateurs les plus fréquemment utilisés dans les enseignes de vente accompagnée.

Individuels et collectifs :

  • Nombre d’acheteurs et évolution (nouveaux, clients, fidèles)
  • Nombre de paniers de vente dans la semaine/l’année (total, par nature d’acheteurs, par tranche de prix…) vs objectifs
  • Nombre de lignes de ventes ( par tranche de prix et par rayon ) et évolution en % dans la semaine/l’année
  • Nombre de lignes de ventes ( par nature d’appel du produit – prix d’appel, leader, basique… différenciation etc… ) et évolution en % dans la semaine/l’année

Collectifs :

  • Evolution du CA de la semaine et de l’année glissante exprimé en valeur brute puis

corrigé des taux d’inflation
corrigé des variations saisonnières (cvs)
corrigé des variations de jours ouvrés (cvo)
corrigé des poids des jours ( ex Samedis ) (cvj)
corrigé des variations météo ( décalage des phénomènes météo déclencheurs)
corrigé des variations de valeur de vente des stocks présentés

  • Ecart du CA sur semaine et année glissante en % par rapport aux objectifs
  • CA moyen par acheteurs identifiés : CA identifiés / nombre de clients ( par nature : conquête, fidélisation …)
  • CA moyen par panier : CA / nombre de paniers ( évolution )
  • CA par rayon et CA par rayon / nombre de paniers (avec ou sans produit rayon )
  • Marge brute globale (diminuée de la démarque inconnue) de la semaine et l’année glissante
  • Nombre de clients perdus (hors délais -moyenne + écart type- de renouvellement moyen de l’achat) et CA qu’ils auraient réalisés
  • Répartition des ventes selon les produits, les types de clients, par zone des ventes
  • Part de marché obtenue en valeur ou en volume et évolution ( marché large & étroit )
  • Taux de détournement (% de visiteurs vs trafic de proximité) et Taux de transformation (% d’acheteurs vs visiteurs) et Taux d’interception (% de visiteurs rentrants en contact avec un accompagnateur)
  • Temps passé par un client dans le point de vente sans approche d’accompagnement
  • Temps d’attente à l’emballage et aux caisses

Individuels :

  • Nombre de nouveaux clients identifiés et nombre de paniers vendus sans identifiants (par tranche de prix et par rayon)
  • Nombre de paniers traités par tranches horaires de présence ( fn de la fréquentation du point de vente )
  • Ventes avec remises/rabais/ristournes en % acheteurs/lignes de vente/CA ( y compris avec avantages de fidélité )

Généraux :

  • Indice de disponibilité et d’attrait (disponibilité en rayon, propreté et mise en état des produits dans leur présentation optimale)
  • Indice de manipulation accompagnée ou non : Nombre de prise en main / nombre d’arrêts
  • Indice d’achat accompagné ou non : Nombre d’achat / nombre de prise en main
  • Indice de coulage et de démarque

 

Tous les économistes s’entendent pour souligner que 7 à 8 indicateurs constituent le maximum à retenir pour construire des tableaux incitatifs de suivi de la performance, avec une pyramide inversée ou les commerciaux terrain sont dynamisés au moyen de trois indicateurs et les responsables de zone au moyen des 7 indicateurs.

L’évolution d’une enseigne, vers la confortation de ses positions, modifie la perception de l’indicateur de performance. Si l’’enseigne n’a pas atteint les seuils d’indicateurs utilisés, il est possible de les compléter. Mais en premier lieu, toute modification de l’environnement commercial d’une enseigne impose de changer la priorité des indicateurs dans les tableaux de bord.

Ainsi lorsque la dynamique de progression d’une enseigne stagne, le taux d’activité (le nombre de paniers de vente) sera un indicateur plus important que le chiffre d’affaire. La conquête de nouveaux clients plus importante que l’évolution du panier moyen…

La réalisation de certains objectifs complexes à mesurer dans un espace temps limité, ne peut trouver de base incitative dans des formes de primes, mais reste primordiale pour qualifier le travail et la dynamique des équipes, dont la motivation passe par des rapports humains que les chiffres doivent conduire.

La conquête d’un marché impose comme toute phase de conquête, une discipline toute militaire, avec ses ordres précis et ses relations humaines hiérarchisées. Si l’information maitrisée des données chiffrées, permet de regarder dans le rétroviseur, elle ne doit pas servir à justifier ce qui s’est passé mais à prévoir pour, planifier ce qui va arriver et, contrôler les déviances individuelles ou collectives afin de mettre l’élasticité de chacun au service de la maitrise des aléas.

Sans quoi, le distributeur automatique doit s’imposer comme base de la relation de l’enseigne avec ses clients.

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