Vitrines = Cercueils, Vendeurs = Tueurs, la mort du commerce accompagné ?

Comment contourner les devises ‘Les vitrines : cercueils des magasins’ ,‘Les vendeurs : tueurs de vente’ , ‘No Parking , No Business’ par une mise en scène instrumentalisée de l’acte de consommation, dans laquelle le cadre d’organisation transforme les faiblesses en force.

Le libre service offre un contact direct entre, les produits et plus exactement leurs packagings, et le consommateur. Le produit accessible sans dépendance à autrui devient objet cause du désir (1).

Ce concept a révolutionné la distribution dès les années 60. Après un premier acte valorisant et identifiant ( circuler en voiture pris dans le regard de l’autre), un deuxième gratifiant ( l’assurance d’une bonne affaire dès l’approche , l’essence moins chère – alors que les prix étaient imposés – ), arrive le rapport au désir (objet convoité) qui ne souffre aucune dépendance, ni entrave  ( et surtout pas celle de la parole ajouterait Lacan ) : ainsi est né le concept individualiste du libre-service, qui s’est muté vers l’hypermarché.

En s’inscrivant dans les habitudes de la consommation libérée, le rapport, à l’objet nécessaire ou convoité, évolue à l’instar de la frontière entre l’expression de la dualité envie/besoin.
Dans la construction d’une démarche cognitive de consommation d’objets désirés, dans notre civilisation judéo-chrétienne, il convient de transgresser, la peur du pêché de convoitise, ou bien de subvertir le désir dans une expression de besoin.
L’envie est une expression cognitive du désir, dans le domaine du réel. Elle cotoie un péché capital où elle rejoint le commandement sur la convoitise.

  • envie = convoitise = acte de péché humain réalisable et jugeable
  • désir = acte positif et conceptuel du domaine de l’inassouvi (utopique)

Comment alors réintroduire quelques uns des grands interdits du libre-service tout-automobile, dans les concepts de distribution moderne ?

La réintroduction de concepts bannis dans la distribution ( tels que la présence du vendeur, ou l’empilage limité ), doit être faite de façon homéopathique. Par exemple, dans l’océan de libre-service de la GSA, sur le même lieu, la vente accompagnée de vins lors des foires, de cosmétique ou de bijouterie sous bergerie ( ex Leclerc ) s’inscrivent comme des îlots de diversité, dynamisant le niveau d’excitation par l’incongruité de la situation (chaque individu est caractérisé par un niveau optimum d’excitation qu’il cherche en permanence à atteindre).
Cette réintroduction ponctuelle ne constitue pas un exemple d’alternative probante. Le succès des enseignes de cosmétiques, et de bijouterie, dans les grandes galeries commerciales attenantes aux GSA, montre que ce principe homéopathique de réintroduction d’interdits, peut même sortir de la GSA elle-même. L’intervention de l’accompagnant et les vitrines de protection ne constituent plus des freins à ce qui est considéré par le client, comme une extension de services au libre-service.
Mais dupliquer un concept qui marche en galerie commerciale, en centre ville, impose une réflexion supplémentaire sur d’autres méthodes de réintroduction de ces interdits ( ex : la vitrine principale d’exposition extérieure constitue un stock inamovible ).

Une méthode de réintroduction des vitrines et de l’accompagnement humain de la vente ressentie positivement  par les consommateurs, est de faire appel au facing fixe (l’objet présenté et essayé, retrouve sa place en vitrine, même si la vente est faite). Quand l’acheteur n’a pas intérêt à emporter l’objet présenté, il se trouve que l’intervention humaine ou la protection de l’objet par une vitrine ne constitue plus un frein mais au contraire une garantie de bénéficier du service associé ( fraîcheur , propreté, conseil, etc… ). Lorsque rien n’entrave naturellement la disponibilité immédiate de l’objet convoité, la méthode de facing fixe est plus difficile à mettre en œuvre, mais lorsque l’objet n’est immédiatement disponible ou transformé comme tel (personnalisation chez Vuitton ) elle s’impose pour valoriser l’achat du client : optique par exemple.

On retrouve les deux écoles de la cosmétique, celle de la profusion pure libre service ( et l’assurance d’une indépendance jusqu’à la caisse ) et celle des présentoirs de tests complétés de réserves, pour la vente accompagnée ( et l’assurance d’un produit non dénaturé et complet).

Dans l’univers du Luxe, il a été difficile de convaincre, que la garantie que l’objet acheté ait bien été certifiée par le fabricant et qu’il n’ait pas été détérioré par la présentation, constituait un élément du «merchandising de vrai luxe » au même titre que la lutte contre la copie. Le facing fixe des produits potentiellement altérables, falsifiables, constitue pour un consommateur, la garantie, que le produit n’a pas quitté son emballage depuis sa certification qualité(2) et qualifie pour lui l’enseigne surtout dans le luxe. Quelle plus belle garantie de qualité pour un achat de foulard chez Hermès, que celle de disposer d’un produit certifié dans son paquet d’origine scellé au contrôle qualité ?

Cette forme de vente en facing fixe justifie pleinement l’intervention de l’accompagnant et la protection de l’accès aux produits par des vitrines ou des présentoirs distants. De même, si l’on cherche, une image de luxe, il suffira, si le produit s’y prête, de pratiquer le facing fixe – chaussure / lunette / vins / bijouterie fantaisie – et donc d’organiser son point de vente autour de ce système démonstratif.

Autre stratagème de contournement du frein à la vente que constitue l’accompagnement : la surreprésentation dans le point de vente de la force commerciale; l’image parfois négative de l’accompagnateur de vente, vendeur s’efface au profit de celle de conseiller.  Bien connue sur les stands de cosmétique des grands magasins, la vente sur accompagnée conditionne le chaland dans l’attente d’une relation de cocooning pour l’hédoniste ou une relation d’apprentissage pour l’impliqué réfléchi. Il faut une disproportion entre la surface d’exposition des produits et la quantité visible de personnel d’accompagnement de la vente. Les tests menés sur des petites surfaces lors de périodes de fort passage de clientèle, ont montré que le détournement des flux lors des périodes de faible trafic était plus élevé sur les heures de surreprésentation du personnel d’accompagnement. Il devient évident qu’une étude de coût de rentabilité est à faire. Une surreprésentation juste avant les périodes de fort trafic permet d’amorcer la fréquentation avec le meilleur effet de levier, même à rendre cette surreprésentation artificielle. D’où l’importance de rendre visible depuis l’extérieur, sa force de vente avec une forte concentration dès les périodes de pics de trafic en vue, et non pas de disperser sa force de vente déjà sur ses postes ou en arrière boutique sous prétexte de manque de trafic. L’enseigne doit donner a son magasin les probabilités de trafic, chaque jour toutes les 30 minutes ( les informations à la demi-heure sont disponibles et suffisantes ),  corrigées des influences météo et trafics (grèves et disponibilités de parking…) (NDLR voir Horizon les systèmes de prévisions de besoins en personnel à la demi-heure) .
L’enseigne doit également calculer les bonnes proportions à donner au magasin. Une surface longue et peu profonde ( plus efficace à la représentation) aura plus de difficulté à créer une surreprésentation artificielle par rapport à une surface étroite d’accès et profonde. Cette surreprésentation, à des horaires et des jours précis, censée catalyser le détournement d’un flux de clientèle naissant, est une des objectifs d’un bon système de gestion de la présence du personnel en magasin.

Le No Parking No Business s’appliquerait typiquement aux ventes de gros volumes à emporter.
La vente volumique et à bas prix n’a d’avenir que dans les ZAC ou la voiture accompagne le client ! Si l’image du prix bas s’est associée progressivement avec l’image des GSA, dans l’inconscient à la ZAC, la vente volumique ou pondéreuse peut se passer du tout-voiture. L’effacement de cette incompatibilité, réside dans la valorisation de l’acte de livraison.

A l’instar, de l’acheteuse de VPC villageoise, de la fin du XXem siècle, qui dans la réception du colis avec la visite voyante du facteur, a trouvé un redoublement de son plaisir d’achat : le plaisir d’être visité par une personne représentative de la sociabilité désintéressée (le facteur/livreur) et le plaisir d’être observée par la communauté de proximité ; l’acheteur doit être à même de valoriser la livraison à domicile, au-delà du différentiel de prix de son déplacement. C’est le concept, qui a relancé Darty dans les années 10.

Si le coût des surfaces s’avère moins cher qu’en galeries ( et surtout plus accessible ), le centre ville peut, par des artifices d’organisation, être propice aux achats pondéreux ( le premier magasin Darty est de loin le magasin de Paris 17 bien qu’au centre ville et fortement encadré d’autres magasins de l’enseigne, même devant Darty.com en 2009 ).

Ainsi telle pratiquée dans la peinture ( décoration ) , les marques de luxe se sont orientées vers un concept de vente à double satisfaction ( achat puis prise de possession ).
Exemple  : la distribution de peinture de décoration, qui ne peut s’anoblir dans un facing fixe, et dont le poids du produit emporté imposerait une vente en ZAC incompatible avec l’image de luxe et une cible de clientèle haut de gamme.Cette niche, implantée dans un réseau de shop in the shop ou de magasins succursalistes, vend ( et à prix élevé ) des échantillons de peinture/couleur/matière et ce en centre ville ( emplacements N°1 ) dans des surfaces limitées, sans contrainte de transport et avec un premier acte d’achat engageant . L’acte d’achat ayant été commis sans entrave, la transformation est facilitée; le client se voit après validation de l’échantillon testé,  livré, sur site de la peinture à la teinte et matière de l’échantillon de son choix.
L’investissement dans cette organisation et l’instrumentalisation du circuit B to C, tel que décrit ci-dessus, peut se confronter à la proximité de la concurrence des ventes internet ;  surtout lorsque la vente internet aura travaillé la gratification de la livraison  ( sociabilité, image, regard de l’autre ).

Reste que les centres villes commerçants, ne peuvent se passer de parkings souterrains pour assurer au-delà du trafic de proximité ou de bureau, un volume de chalands aptes à consommer. C’est la condition pour rester en concurrence volumique des centres commerciaux de périphérie.

No Parking , No Business reste une devise d’actualité difficilement contournable en centre ville. Il existe des exceptions pour les commerces de gare et de métro ( ou tout proche), ou pour des commerces de grande proximité ( bouche, presse, services ) compatibles avec ces modes de transport ou des situations de proximité.

Les slogans de Trujillo restent d’actualité, même s’ils souffrent des exceptions lorsque sont organisées les réintroductions d’actions bannies avec des artifices et des dosages mesurés. Ainsi l’accompagnement de la vente, se justifie dans une stratégie spécifique de présentation et d’organisation des périodes de présence. Pour des secteurs ou enseignes, qui doivent rester en centre ville,  l’offre produit et l’organisation merchandising doivent s’adapter à des structures de comportement d’acheteurs spécifiques du centre ville (ex : les sans voiture, adolescents et femmes citadines, les chineuses, les déambulatrices, les célibataires… )

 

 

(1) L’objet, en paraphrasant Lacan, sous ses trois registres successifs : imaginaire, réel et symbolique.

(2)Technique : le produit et son contentant sont identifiés unitairement en couple nécessaire à la vente labellisée. L’identifiant du contenant disparaît à son ouverture – le solénoïde d’alimentation de l’identifiant se brise avec la bande de protection d’ouverture. Le couple peut être reconstitué mais par le service qualité

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